
Au cours de plusieurs conversations lors d’événements et du dernier congrès de l’UPAV/VVR, Jean-Christophe Weicker, à la tête de Voyages Copine depuis plus de 27 ans et Tony Hamadouche, COO de Voyages Copine depuis fin 2021, m’avaient raconté plusieurs anecdotes sur l’histoire de la transformation réussie de leur entreprise avant, pendant et après la période du covid. J’étais impatient d’entendre toute l’histoire, alors par un jeudi ensoleillé, je me suis rendu à Namur, où j’ai été accueilli non pas dans un immeuble de bureaux, mais à bord de la Péniche “A l’abordage”.
La péniche fait partie des activités de Voyages Copine et devait même être transformée en agence de voyages dans un premier temps. Mais elle est finalement devenue un lieu de vacances et/ou d’événements. La péniche est située sur les rives de la Meuse, à proximité du centre de Namur. Voici le récit d’une conversation intense, sur la façon dont une entreprise peut se transformer avec la détermination, la vision et l’esprit d’entreprise nécessaires, tout en surmontant avec succès la “mère de toutes les crises”. Jean-Christophe et Tony parlent, et j’écoute presque sans avoir à poser de questions complémentaires.
Jean-Christophe Weicker : “Chez Voyages Copine, nous avons toujours été attentifs aux évolutions sociales, aux tendances, aux habitudes de voyage et aux comportements des consommateurs. Au milieu de la dernière décennie, nous avons constaté, comme probablement beaucoup d’autres, que les dossiers “moins chers” étaient de moins en moins réservés par notre intermédiaire, l’agence de voyages. Nous avons également constaté que la marge sur ces dossiers était de plus en plus faible pour une charge de travail au moins équivalente. Nous avons donc résolument décidé d’opter pour le haut de gamme et ce, de manière cohérente : “En 2017, nous avons transformé toutes les agences de Voyages Copine en boutiques, avec une décoration cosy et agréable qui permet vraiment aux clients de se sentir comme chez eux. Nous avons ensuite adapté la communication, le marketing et la sélection de nos partenaires à ce nouveau positionnement. Durant cette période, nous avons également commencé à travailler sur notre propre produit personnalisé avec des voyages d’exception, des séjours dans des adresses confidentielles, loin du tourisme de masse, avec des partenaires sur le terrain pour qui le développement durable est essentiel. C’est aujourd’hui notre marque Wanderlust et nous l’avons finalement lancée en … juillet 2020. En effet…, lors du premier été covid”.
“Nous voulons consolider notre position de leader wallon d’agences de voyages indépendantes.”
“2017 a donc été une année charnière importante pour Voyages Copine. Nous avons fait cette transformation en toute transparence en communiquant beaucoup avec l’ensemble de l’équipe. Ce dernier point est très important : nous avons toujours expliqué à nos collaborateurs ce que nous voulions réaliser avec l’entreprise, comment nous allions le faire et pourquoi nous avions choisi cette direction. Cela a permis à chacun de bien comprendre le projet, la vision qui le sous-tend et les valeurs qui sont importantes dans l’entreprise.”
Jean-Christophe ajoute en riant : “La transformation des bureaux a évidemment été très bien accueillie. Nous avons été heureux d’offrir un cadre de travail agréable à notre personnel, les clients ont découvert avec plaisir qu’ils pouvaient venir discuter de leur voyage dans des conditions optimales. Mais nos partenaires-fournisseurs ont également été évalués et sélectionnés selon la nouvelle philosophie. Avec un modèle matriciel qui prenait en compte la qualité du produit, le service après-vente, la marge que nous pouvions dégager, l’investissement en formation… C’est ainsi que, toujours en toute transparence, nous avons composé notre offre. Nous avons aujourd’hui un vrai partenariat avec nos principaux voyagistes basé sur le respect et la confiance mutuels. Nous l’avons également bien communiqué à l’ensemble de l’équipe, ce qui fait que la direction à prendre devient presque une évidence.”
Je note qu’il s’agit d’une belle histoire avec des choix clairs. Mais à peine deux ans après l’importante année charnière de 2017, nous avons été frappés par la pandémie. En mars 2020, tout s’est littéralement arrêté. Ma question est donc la suivante : comment Voyages Copine a-t-il survécu à la période du covid ? La réponse ne tarde pas à venir et elle est très claire.
Jean-Christophe: “Cash is King, cher Jan ! Heureusement, Voyages Copine était une entreprise très saine avec des fonds propres importants. C’était le résultat d’une politique de longue date où les bénéfices étaient pour l’essentiel soit investis dans l’entreprise à chaque fois, soit servaient à constituer un capital de réserve. C’est ainsi que nous avons pu absorber le choc. (Subtilement) Savez-vous que l’aide que nous avons finalement reçue de la Région wallonne n’a pas couvert plus de 15 % de la perte ? Nous avons donc supporté nous-mêmes 85% de la perte totale due au covid”.
Jean-Christophe poursuit dans la foulée : “Mais il ne s’agit là que de l’aspect financier. Ce qui nous a aussi tiré d’affaire, c’est le fabuleux engagement du personnel. Nos collaborateurs étaient terriblement investis dans leur travail et dans l’avenir de l’entreprise. J’avais à mes côtés une équipe qui a réalisé des performances exceptionnelles tout au long de cette période difficile. Nous avons également pu compter sur la compréhension de nombreux clients et de la plupart des fournisseurs.“
“Depuis 2017, nous avons transformé toutes les agences de Voyages Copine en boutiques, avec une décoration cosy et agréable qui permet vraiment aux clients de se sentir comme chez eux.” Jean-Christophe Weicker
“En même temps, en mai/juin 2020, j’ai également eu le sentiment que quelque chose d’important était en train de se produire, qu’il ne s’agissait pas seulement d’une pandémie. D’ailleurs, vous souvenez-vous que dès le début de la crise, l’expression “se réinventer” est apparue un peu partout ? Eh bien, à ce moment-là, nous avons nous aussi décidé de nous remettre en question, de réfléchir à ce que pourrait être l’avenir de l’entreprise et à la manière dont nous pourrions lui donner forme. C’est alors que Tony a commencé à jouer un rôle important : il devait, avec moi, lancer un nouveau projet qui déterminerait l’avenir de Voyages Copine. Et je dois dire qu’il le fait avec brio et qu’aujourd’hui, en tant que COO, il est responsable de la gestion opérationnelle de l’entreprise”.
Je regarde mes deux interlocuteurs et je ne peux cacher mon étonnement et mon admiration : nous sommes en juin 2020, au milieu d’une crise dont on ne voit ni la fin ni le timing et Voyages Copine se lance dans un projet d’avenir, avec peut-être la nécessité d’un investissement supplémentaire ? Les mots “audace”, “véritable esprit d’entreprise” et “confiance en soi” défilent dans mon esprit. Jean-Christophe comprend ma réaction et sourit :
“Le nom du projet était “Les raisons d’y croire”. Sur la base d’analyses macro (évolutions et tendances mondiales) et micro (marché belge), nous avons élaboré un projet pour l’entreprise. En décembre 2020, le projet complet concernant l’avenir de l’entreprise a été présenté aux actionnaires, ce qui a finalement conduit à un remaniement des actions – mon épouse et moi-même sommes désormais propriétaires à 100 %. Et nous avons décidé de soutenir le projet à 100%. Ensuite, avec ce projet sous le bras, nous sommes allés voir la banque qui a décidé de nous suivre.”
Je note simplement que nous parlons maintenant de 2020/2021, une période où les banques n’étaient pas vraiment disposées à prêter de l’argent à des secteurs tels que l’horeca, l’événementiel et le tourisme. Le projet a donc dû passer un test sévère. Jean-Christophe donne la parole à Tony pour qu’il expose plus en détail le fameux projet, mais avant, et c’est une caractéristique de ce chef d’entreprise, il insiste brièvement sur un point de l’analyse. Il s’agit de lui-même et ce n’est pas sans autocritique.
“Lorsque j’ai analysé l’évolution du tourisme, j’ai tout de suite été fasciné par un élément : c’est un secteur, qui connaît une croissance continuelle et structurelle depuis plus de 60 ans.” Tony Hamadouche
Jean-Christophe : “Le rapport a montré que l’approche opérationnelle de la direction pouvait être améliorée. Il s’agissait de la clarté des décisions, du suivi quotidien et de la structure de la gestion de l’entreprise. L’une des recommandations était donc que la direction soit complétée par une personne qui prendrait en charge la gestion opérationnelle. Après quelques conversations, il est apparu clairement que Tony lui-même serait la personne idéale pour cela. Et c’est ce qui s’est passé !”
Tony reprend la conversation et explique l’approche du projet. “Je n’avais jamais travaillé dans le secteur du tourisme, mais dans le retail, dans de nombreux secteurs différents. Mais lorsque j’ai analysé l’évolution du tourisme, j’ai été immédiatement fasciné par un élément : il s’agit d’un secteur qui, depuis plus de 60 ans, connaît une croissance continuelle et structurelle. Seuls trois moments ont réellement provoqué des ralentissements temporaires : les attentats du 11 septembre, la crise financière de 2008/2009 et le plus grave et le plus inattendu : le covid. À chaque fois, cependant, le secteur s’est redressé avec succès et a renoué avec la croissance.”
“Mon approche – à l’époque en tant que consultant – pour Voyages Copine a été le plan par étapes que je suis toujours dans de telles missions : une analyse du marché – d’où mon commentaire sur la croissance de 60 ans – et une analyse de l’entreprise, pour identifier ses forces et ses faiblesses. A noter : nous sommes fiers d’avoir développé une stratégie qui a été co-construite sur base des informations remontées par l’ensemble des collaborateurs. Au cours de cette période, j’ai en effet parler à chaque membre du personnel en utilisant à chaque fois la même matrice et les mêmes questions. L’apport et l’engagement de toute l’équipe étaient importants car le projet devait ensuite être reconnu et soutenu par tous”.
“Après l’approbation du plan, son implémentation a donc commencé, à nouveau avec un gigantesque travail en termes de communication. Mais à partir de ce moment-là, tout le monde a compris que nous étions une entreprise avec une vision claire, une stratégie claire et des valeurs identifiables. Nous avons traduit tout cela en objectifs commerciaux concrets : un chiffre d’affaires, associé à un niveau de marge, à atteindre d’ici la fin de 2023. De plus, notre ambition est de consolider notre position de leader wallon d’agences de voyages indépendantes. “Jean-Christophe réfléchit un instant : “Je pense que si nous suivons cette définition à la lettre, nous y sommes déjà arrivés. Chaque mot est important : indépendant (donc sans franchise), wallon (donc pas à Bruxelles).
“Le premier résultat est que 2022 est devenue parmi les meilleures années de l’histoire de Voyages Copine. Et encore une fois, pour ma part, je dois souligner que nos collaborateurs l’ont fait dans des circonstances non évidentes, avec de nombreuses incertitudes sur le marché, et dans une année avec beaucoup de perturbations et d’obstacles.”
“Aujourd’hui, Voyages Copine se compose de de 30 personnes réparties dans 7 agences de voyages,, d’une agence Club Med, d’un département groupes et incentives, d’un département voyages d’affaires et d’un département Wanderlust. Et à partir de la stratégie et de notre projet d’entreprise, nous pouvons aussi répondre aux opportunités. C’est ainsi que Jean-Christophe, qui a un réseau exceptionnel, est entré en contact avec la gérante de La Boutique du Voyage, qui a des agences à Huy et à Wanze. L’agence que nous possédions alors à Huy n’offrait pas suffisamment de possibilités pour répondre pleinement à nos nouvelles exigences de “boutique office” et nous avons résilié le bail à la fin de l’année 2022. En même temps, les premiers contacts ont révélé de grandes similitudes entre nos valeurs, notre façon de travailler et nos groupes cibles par rapport à La Boutique du Voyage. Nous avons donc décidé, avec l’ancienne propriétaire, de reprendre l’affaire – avec le même personnel et la même gérante”.
“Il y aura toujours un groupe cible important qui apprécie les contacts personnels, les conseils professionnels et un service de premier plan. Surtout dans le segment premium du marché.” Tony Hamadouche
Cette acquisition (dont Jean Christophe, son épouse et Tony détiennent chacun 33.3 % des parts) est la preuve que ces entrepreneurs continuent à croire en l’avenir des agences de voyage physiques. Tony : “Il y aura toujours un groupe cible important qui apprécie le contact personnel, les conseils professionnels et un service de premier plan. Surtout dans le segment premium du marché. De plus, nos analyses montrent que l’expérience du covid a poussé les gens à croire encore plus et à avoir besoin de la valeur ajoutée des contacts personnels. Il y a évidemment la concurrence des acteurs OTA, mais au sein de notre marché cible, nous croyons fermement en notre valeur et en l’avenir”.
Tony ajoute : “Il est évident que la transparence et la communication ouverte sont des armes à double tranchant. Il faut communiquer avec tout le monde sur ce qui va bien, mais aussi sur ce qui va moins bien. Ce n’est pas facile pour tout le monde. C’est pourquoi nous réunissons désormais tous nos employés trois fois par an, dans un endroit agréable au vert. Nous voyons cela comme des initiatives de team building, mais nous communiquons aussi sur nos objectifs en termes de marge et de chiffre d’affaires, et sur les performances de nos voyagistes partenaires. Notre plan de communication sur les médias sociaux – établi pour une année entière, canal par canal et message par message – est évalué et ajusté. Ces réunions sont importantes car elles permettent de déployer l’ensemble du plan de manière cohérente dans toute l’entreprise”.
Franchement, je suis impressionné non seulement par la vision, mais aussi par le dynamisme et la maturité avec lesquels Voyages Copine a utilisé la plus grande crise de ce siècle pour préparer l’entreprise à un avenir encore plus fructueux. Mais à quoi ressemble cet avenir immédiat ? Tony explique :
“Dans un premier temps, il s’agit évidemment de récupérer les pertes de la période covid. Pour cela, nous avons besoin de plusieurs bonnes années – c’est pourquoi nous sommes heureux qu’en 2022 déjà, nous puissions enregistrer une année de réussite sans précédent.” Tony regarde Jean-Christophe, qui acquiesce : “En même temps, il y a la volonté et même la volonté explicite des actionnaires d’investir davantage, y compris dans une automatisation poussée pour soutenir l’ensemble du processus de travail. Je ne peux pas tout dévoiler aujourd’hui, mais il y a encore de la croissance dans nos initiatives existantes. Par exemple, pour Wanderlust, qui connaît vraiment sa première année en 2023 et dans laquelle le concept pourra être pleinement exploité. Il y a aussi beaucoup de synergies à trouver dont la Boutique du Voyage pourra tirer profit”.
Pour conclure, je me tourne directement vers Jean-Christophe. Après tout, je connais cet homme depuis de nombreuses années, et je lui demande pourquoi, un jour de 2017, au lieu de laisser les choses suivre leur cours en douceur, il a choisi de se remettre en question, de remettre en cause son approche et sa stratégie d’entreprise. La réponse ne se fait pas attendre : “Pour moi, se remettre en question est une question d’attitude. D’une part, il faut oser se remettre en question en permanence en tant que personne et en tant qu’homme d’affaires, mais en même temps, il faut avoir la capacité d’accepter certains messages – nous avons parlé de la gestion opérationnelle plus tôt dans cette conversation – même si ce message est critique à l’égard de soi-même.”
Tony : “Puis-je ajouter quelque chose ? Au cours de mes années d’expérience en tant que consultant, j’ai remarqué que dans environ 60 % des cas, les rapports et audits importants d’une entreprise sont lus, puis finissent dans un tiroir quelque part en prenant la poussière. Ici, c’était et c’est différent : Jean-Christophe a tout prit et a voulu ensuite tout mettre en œuvre. Et ça, c’est rare”.
Nous quittons la péniche et poursuivons la conversation de manière informelle dans l’un des nombreux et agréables restaurants de Namur, sur les rives de la Meuse. À table, nous discutons, entre autres, de nos expériences et impressions lors du récent congrès de l’UPAV/VVR. Jean-Christophe doit interrompre la conversation environ cinq fois pour saluer des personnes, dont au moins un président de parti, un ancien ministre et un homme d’affaires wallon de premier plan. Nous sommes effectivement à Namur, la capitale de la Wallonie.
L’histoire d’une péniche sur la Meuse
Jean-Christophe Weicker : “En fait, nous étions à la recherche d’un nouvel emplacement pour nos bureaux de Namur et lorsque cette péniche a été mise en vente, il nous a semblé que c’était une bonne idée de transformer cet ancien vraquier en l’une de nos agences-boutiques. Mais tout au long de la réflexion sur l’avenir de notre entreprise, nous nous sommes dit : pourquoi ne pas essayer de diversifier les activités et les revenus de Voyages Copine, en transformant “A l’abordage” en un lieu multifonctionnel d’hébergement et de réunion, voire d’événements, que nous proposerions sur le marché de la location ? Et voilà, c’est le choix que nous avons fait. Le résultat est un bateau doté de tout le luxe et de toutes les facilités, amarré au bord de la Meuse à proximité du centre de Namur”.
Magnifique Article