
Travmagazine a eu un entretien en tête-à-tête avec le CEO de Brussels Airport pendant une heure et demie. Arnaud Feist peut passer pour un homme réservé et rationnel auprès du grand public. Au cours de l’entretien, il est apparu clairement qu’il est un intellectuel de premier plan, doté d’une vision stratégique et d’une volonté inébranlable de réussir. Mais c’est aussi un homme empathique, soucieux des gens et doté d’un solide sens de l’humour.
Au début de notre entretien, je fais référence aux scènes de liesse qui se sont déroulées dans le hall des arrivées de l’aéroport de Bruxelles il y a quelques semaines : la “folie Remco”. Arnaud Feist est entré en scène en partie lorsqu’il a lui-même accompagné le champion du monde Remco Evenepoel à son retour d’Australie. Une foule rarement vue dansant, buvant et faisant la fête attendait Remco à l’intérieur du bâtiment de l’aéroport. Je dois admettre que j’ai fait la réflexion que cette fête ne pouvait avoir eu lieu qu’avec un strict contrôle de sécurité préalable. Le patron de Brussels Airport a immédiatement réagi avec enthousiasme :
” Honnêtement : cela fait 12 ans que je suis CEO de l’aéroport et je n’avais jamais connu cela auparavant. Pour nous, c’était vraiment un super moment. Beaucoup d’employés de l’aéroport étaient présents et cela ajoutait une sensation supplémentaire à l’événement. Bien entendu, nous avons soigneusement préparé tout cela avec notre propre service de sécurité et la police fédérale. Ce fut d’ailleurs un travail de dernière minute, mais je pense qu’il était important de bien accompagner Remco et les autres athlètes et de permettre en même temps qu’une fête populaire se déroule dans l’aéroport”.
Nous nous penchons brièvement sur l’évaluation de l’été. Pendant les mois de pointe de juillet et août, l’aéroport a accueilli 4,4 millions de voyageurs. C’est 10 % de plus que ce qui était prévu en juin.
“Ce dépassement de 10% par rapport aux prévisions est principalement dû au grand nombre de réservations last minute. 4,4 millions de voyageurs pendant les mois de pointe des vacances, cela nous place à environ 80 % de la période comparable en 2019. C’est donc un bon résultat, mais nous restons encore bien en deçà des niveaux d’avant le covid. Nous constatons que le taux de 80 % est un niveau stable : il s’est également maintenu en septembre. Beaucoup de choses vont maintenant dépendre de différents facteurs externes : l’évolution du conflit en Ukraine, les prix de l’énergie et la forte inflation.”
Je note qu’en général, la tendance au sein de l’industrie du voyage est que Brussels Airport – certainement comparé à d’autres aéroports proches de la Belgique – s’est bien comporté sur le plan opérationnel, en cette période d’été post covid non évidente. À la question “Qu’est-ce qui a fait la différence ?”, Feist donne une réponse claire :
“Je suis le directeur de Brussels Airport et je ne peux donc parler que de notre propre situation. En janvier de cette année, nous étions encore à 30 % de la période pré-covid et c’est ensuite passé à 80 % en juillet/août. Dès novembre de l’année dernière, nous savions qu’une augmentation significative du nombre de passagers était à venir. Nous ne savions pas alors quand cela se concrétiserait, ni quel serait le volume. Le premier grand test a été les vacances de Pâques. Nous nous en sommes bien sortis, mais nous savions que l’été serait crucial.”
Arnaud Feist me regarde fixement et me dit : “Vous savez, les gens n’ont pas pu partir en vacances pendant deux ans à cause du covid. Maintenant, c’était à nouveau possible, enfin en avion, enfin vers l’étranger et des millions de personnes étaient vraiment impatientes. Dès le début, j’ai déclaré que nous ne voulions pas voir de scènes chaotiques à Brussels Airport et que nous allions faire tout notre possible pour garantir une bonne expérience aux voyageurs dans l’aéroport. A tout moment, y compris aux heures de pointe.”
“Que devions-nous faire pour être prêts ? C’était clair : recommencer à embaucher des gens. Bien sûr, il y avait un risque : si le trafic restait inférieur aux attentes, nous aurions eu trop de personnel. Mais l’alternative était – du moins pour moi et mon équipe – impensable : si nous ne recrutions pas et que la croissance se réalisait, nous ne serions pas en mesure de gérer le volume. Nous nous sommes alors lancé un défi : nous serions prêts avant l’été.”
“En avril, nous avions 1.200 postes vacants. Nous avons ensuite lancé une vaste campagne de recrutement, avec de nombreuses campagnes publicitaires, des salons de l’emploi et une communication par tous les canaux possibles. Notre propre agence pour l’emploi Aviato a fait un travail fantastique avec nos aéroports partenaires. Le résultat est qu’entre janvier et juillet, 650 emplois ont été pourvus. De nombreuses personnes ont dû être formées et ont dû acquérir rapidement de l’expérience. En effet, il faut pouvoir maîtriser le travail rapidement, mais aussi savoir comment réagir en cas de problème. Pas évident, mais on a réussi.”
“Un aéroport est un lieu complexe, où de nombreux partenaires et entreprises différentes jouent un rôle. Brussels Airport peut jouer un rôle de chef d’orchestre et nous avons pu conclure des accords avec de nombreux partenaires. Vous avez vu, ces derniers mois, il n’y a pas eu d’agitation sociale. Il y a eu beaucoup de pression sur le travail tout au long de l’été, il faisait très chaud en plus, mais nous avons pu assurer un cadre stable. Après la grève chez Brussels Airlines au début de la saison, de bonnes discussions ont également eu lieu entre les syndicats et la direction. Tout le monde a pris ses responsabilités.”
“Vous ne m’entendrez pas dire que tout était parfait. Il y avait des files d’attente à certains moments, mais elles restaient gérables. Nous avons, entre autres, déployé des stewards supplémentaires pour que la situation reste acceptable pour les passagers. Il ne faut pas oublier que passer de 10.000 passagers à 80.000 passagers par jour en quelques mois n’est pas simple. Aujourd’hui, je suis très heureux et fier de ce que nous avons tous accompli.”
Je soutiens qu’en tant que Belges – et en tant que professionnels du voyage belges – nous pourrions partager un peu plus cette fierté, lorsqu’il s’agit de notre aéroport national. Il me fait un signe de tête affirmatif.
“Je pense pouvoir dire que Brussels Airport a subi une transformation incroyable depuis le début de ce siècle. Aujourd’hui, nous sommes un aéroport haut de gamme, tant pour les passagers et les compagnies aériennes que pour les autres acteurs comme le retail. Nous sommes passés par le covid, mais il ne faut pas oublier que depuis plus d’une décennie, nous écrivons une histoire de croissance, d’amélioration et de développements innovants. Il suffit de penser à la création du “Connector” : cela a changé la donne et c’est encore aujourd’hui la plus grande plateforme de security screenning en Europe. Tous nos partenaires du secteur du voyage, y compris les agents de voyage et les tour-opérateurs, toujours aussi importants, notent également que Brussels Airport, en plus de sa priorité numéro un en matière de sécurité, est également un aéroport agréable offrant une expérience client de premier ordre. Nous continuons donc à tout mettre en œuvre pour que les atouts de l’aéroport soient encore mieux connus dans le secteur du voyage.”
(Enthousiaste) “Saviez-vous que nous travaillons avec une ‘’passenger experience matrix’’ permanente ? Nous répertorions nos clients dans des groupes cibles bien plus sophistiqués que les étiquettes traditionnelles “affaires ou loisirs”. Pour chaque type de client, nous identifions l’importance des différents points de contact dans l’aéroport et nous établissons une cartographie de l’ensemble de l’expérience du passager. De cette façon, nous pouvons ajuster et optimiser les processus. Bien entendu, il s’agit également d’informations essentielles pour les partenaires de l’aéroport afin de mieux adapter leurs services et produits et le comportement de leurs employés aux besoins de chaque voyageur. Brussels Airport Company n’est pas le seul acteur de l’aéroport, mais cela nous aide à remplir encore mieux notre rôle de chef d’orchestre.”
“Mais il y a encore beaucoup de travail à faire ! Notre plan stratégique Shift 2027 s’articule autour de trois piliers stratégiques : le développement durable, l’amélioration continue des performances de notre hub et la diversification de nos activités.”
Je lance ma petite “théorie de la durabilité du secteur du voyage” : le secteur du voyage peut faire beaucoup pour un monde durable, nous pouvons contribuer aujourd’hui à la réalisation de presque tous les SDG (Sustainable Develpment Goals) des Nations unies. Mais pour faire du tourisme, nous avons besoin d’avions et d’aéroports. Voler moins est possible, mais vouloir supprimer les avions est impensable et non souhaitable. Arnaud Feist réagit directement.
“En ce qui concerne la durabilité, cela n’a aucun sens de planifier aujourd’hui des activités qui ne sont pas durables. C’est une évidence. Mais nous ne devons pas oublier que l’aviation n’est responsable que de 3 à 4 % des émissions mondiales de CO2.” (Finement) “Il y a d’autres moyens de transport qui sont beaucoup plus polluants. L’aéroport est aujourd’hui neutre en CO2. Avec de l’électricité verte, avec des bus électriques pour le transport des passagers, avec des lumières LED pour éclairer toutes les pistes etc.”
“Mais quoi qu’il en soit : nous devons continuer à prendre nos responsabilités, avec toutes les entreprises de l’aéroport. Dans le cadre du Green Deal européen, Brussels Airport joue un rôle de premier plan dans le projet Stargate. Une subvention européenne de 24,8 millions d’euros sur cinq ans a été prévue à cet effet. Les projets proposés comprennent, entre autres, des taxis électriques, l’utilisation de l’hydrogène comme carburant pour les équipements de manutention au sol, la construction d’une installation de mélange de biocarburants et d’une installation de biomasse pour produire de l’énergie, et l’amélioration de l’attrait des transports publics pour les passagers.”
“En ce qui concerne ces derniers, des initiatives comme l’extension des zones de stationnement et le projet de navette Flibco s’inscrivent évidemment dans l’amélioration de l’accessibilité. Mais il s’agit aussi de l’intermodalité entre l’avion et le train. Je suis favorable à la suppression des vols courts vers des destinations comme Paris ou d’autres grandes villes européennes proches. Ce n’est plus tenable. Mais pour y arriver, nous devrons disposer de modes de transports alternatifs comme des connexions de trains à grande vitesse à Brussels Airport !”
“Quant aux émissions des avions, nous sommes ravis de constater que les grandes compagnies aériennes renouvellent entièrement leurs flottes. Pensez à Brussels Airlines avec l’Airbus A320neo ou à TUI fly avec le Boeing 737 MAX. Brussels Airport va même un peu plus loin. Les taxes d’atterrissage pour les vieux avions, bruyants et polluants, sont déjà deux à trois fois plus élevées que celles des avions modernes et économes en carburant. Et à partir d’avril 2023, ce sera 20 fois plus. L’objectif est de donner un réel stimulant aux compagnies aériennes et qu’elles optent pour des appareils modernes, plus silencieux et produisant moins d’émissions.’’
“La réalisation et la diversification du projet Airport Business District se poursuit également. Il s’agit du développement d’activités économiques dans un contexte urbain, complémentaires aux activités aéroportuaires et conformes à la fonction de la plate-forme intermodale. Nous avons déjà une salle événementielle (Sky Hall), la rénovation de l’hôtel Sheraton est envisagée et la construction de bureaux et d’un hôtel est en projet. Il y a également une capacité supplémentaire en termes de logistique et l’importance de l’aéroport en tant que plateforme pharmaceutique – qui a fait ses preuves pendant la période covid – sera encore renforcée. Brussels Airport n’est pas une city-airport, mais il est appelé à devenir une airport-city.
“SHIFT 2017” – avec comme slogan “Wider Horizons, Sustainable Ambition” – est un plan réaliste et ambitieux, qui prouve qu’un aéroport n’est plus depuis longtemps un simple endroit où les avions atterrissent et décollent. La base de notre vision consiste à connecter les personnes, les entreprises et les communautés, d’une manière durable. Brussels Airport est plus que jamais un centre social et économique, et un moteur d’emplois pour toute la Belgique”.
Je remercie chaleureusement Arnaud Feist pour cette conversation et le temps qu’il a pris pour transmettre le message de Brussels Airport au secteur du voyage professionnel via le plus grand magazine professionnel du Benelux.
M. Feist n’a pas tardé à répondre : ” Je ne saurais trop insister sur l’importance du secteur du voyage pour Brussels Airport et sur le fait que nous sommes constamment à la recherche de professionnels du voyage pour coopérer et suivre notre évolution. La Belgique peut être fière de l’aéroport haut de gamme de Zaventem”.
photo: Brussels Airport