
Dorothea von Boxberg a reçu l’Award « Person of the Year » lors des Travel Awards organisés dans le Skyhall de Brussels Airport. Cette distinction récompense non seulement une CEO, mais aussi une compagnie aérienne qui enregistrera, pour la troisième année consécutive, des bénéfices. « Par le passé, les résultats ont fluctué, mais le fait d’être aujourd’hui sur une trajectoire de croissance stable et rentable est vraiment remarquable. »
Bien qu’elle se dise heureuse et honorée que ces bons résultats trouvent un écho au-delà de l’entreprise, von Boxberg reste modeste au siège de Brussels Airlines, le b.house : « Ce prix ne concerne pas tant ma personne que ce que nous avons accompli ensemble en tant qu’entreprise. Cette année sera la troisième consécutive où nous réalisons des bénéfices. » Le ton est donné : pas d’autosatisfaction, mais une constante référence à la collaboration, à la direction et à la croissance rentable.
« Tous dans la même direction »
Von Boxberg ne décrit pas son style de leadership en termes abstraits, mais comme une méthode claire et structurée. Selon elle, diriger une compagnie aérienne moderne consiste avant tout à créer de la clarté. « Il est essentiel d’aligner tout le monde dans la même direction. Définir une stratégie, mais aussi s’assurer que chacun la comprenne, la partage et veuille y contribuer. »
La traduction d’une stratégie à long terme en objectifs annuels concrets est cruciale, non seulement pour donner une direction, mais aussi pour stimuler la collaboration. « Pendant des années, les gens disaient bien collaborer au sein de leur département, mais il restait des progrès à faire entre les départements. Nous formulons désormais des objectifs qui ne peuvent être atteints que si deux ou trois équipes travaillent ensemble. Nous n’y sommes pas encore tout à fait, mais c’est une étape importante pour renforcer la coopération transversale. »
« Plus de la moitié de nos revenus provient du marché B2B. »

L’identité de la marque joue également un rôle. La fameuse Belgitude – la combinaison de l’hospitalité et du savoir-faire belges – n’est pas un détail pour elle. « La ponctualité et la régularité sont des prérequis, mais notre hospitalité belge et nos produits typiquement belges à bord – les bières, les pralines, le café – le sont tout autant. Ces partenariats sont essentiels, tout comme nos collaborations marketing avec, par exemple, Tomorrowland et notre avion iconique Amare. Cela fait partie intégrante de la manière dont nous voulons être présents pour nos clients. »
Pour l’industrie touristique belge, Brussels Airlines est bien plus qu’une simple compagnie aérienne : c’est aussi un partenaire commercial. Von Boxberg souligne clairement l’importance du secteur du voyage : « Plus de la moitié de nos revenus proviennent du marché B2B. Certains partenaires ont des clients très spécialisés que nous ne pourrions pas atteindre seuls. Nous sommes donc ravis de ces collaborations. » Le fait que Brussels Airlines ait également été élue Short Haul Airline of the Year ce soir-là montre que cette coopération est appréciée des deux côtés.
Parcours avant Brussels Airlines
Après plusieurs postes à responsabilité chez Boston Consulting et Star Alliance, Dorothea von Boxberg a rejoint Lufthansa AG, la maison mère allemande de Brussels Airlines, en 2007. Deux ans plus tard, elle prenait déjà la tête du département « Stratégie et Investissements » de Lufthansa Passage, dont elle est ensuite devenue directrice. En 2015, elle a rejoint Lufthansa Cargo et, trois ans plus tard, a été nommée Chief Commercial Officer (CCO). Trois ans après, en 2021, elle a succédé à Peter Gerber au poste de CEO de Lufthansa Cargo. La presse allemande l’a alors surnommée la « Rekordmacherin » pour ses résultats exceptionnels. Finalement, le 15 avril 2023, elle a été nommée CEO de Brussels Airlines, fonction qu’elle cumule avec celle de CCO.
Une année rentable, malgré tout
Durant sa troisième année comme CEO, Brussels Airlines reste bénéficiaire, même si les résultats ont été mis à l’épreuve par un contexte difficile : grèves nationales, survols de drones, cyberattaque du système d’enregistrement de Brussels Airport, et plusieurs AOG (Aircraft On Ground), dont un long-courrier immobilisé trois mois après un incident de catering. « Cette année n’a clairement pas été idéale pour nous », admet-elle. « Beaucoup de choses ont mal tourné sans que nous puissions y remédier. »
Le réseau africain, moteur de rentabilité avec ses 18 destinations, a également subi des pressions. « Cela a varié au fil de l’année. Récemment encore, au Cameroun et en Côte d’Ivoire, les élections présidentielles ont perturbé le trafic. Il faut ensuite du temps pour que les vols reprennent normalement. »
« Parfois, ce sont littéralement les trois derniers passagers qui font la différence entre bénéfice et perte. »
La croissance des marchés africains reste réelle, mais ces marchés demeurent limités. « Dans ces zones en développement, plusieurs compagnies ajoutent de la capacité en même temps. Dès que trois transporteurs se renforcent simultanément sur le même marché, cela devient difficile. Dans les grands marchés stables, la demande est plus prévisible. Dans les marchés émergents, beaucoup voient les mêmes opportunités au même moment, ce qui conduit inévitablement à une surcapacité. »
Concernant l’impact d’une éventuelle réélection de Donald Trump sur le trafic transatlantique – Brussels Airlines dessert Washington et New York – von Boxberg nuance : « Nous comptons cette année davantage de passagers américains, car ils voyagent à nouveau plus souvent vers l’Europe, que ce soit pour les vacances ou pour rejoindre l’Afrique. En revanche, le trafic d’Afrique vers l’Amérique du Nord baisse. Certaines personnes n’obtiennent pas de visa ou craignent de ne plus pouvoir entrer aux États-Unis après leur départ. Ce ne sont pas de grands volumes par vol, mais cela finit par peser. Dans l’aviation, les marges sont minces : parfois, ce sont littéralement les trois derniers passagers qui font la différence entre bénéfice et perte. »
Au début de l’exercice, la filiale de Lufthansa visait une croissance à deux chiffres, mais celle-ci a été freinée par les multiples contretemps. « En excluant les jours de grève, nous étions déjà à environ –2 %. Finalement, nous terminerons autour de 9 % de croissance », précise-t-elle. « Pas très loin du double chiffre, même si nous aurions préféré faire mieux. »
La marge bénéficiaire recule légèrement : 3,8 % l’an dernier, alors que la compagnie vise la norme Lufthansa de 8 % afin de se prémunir contre les crises et d’investir dans la capacité et la décarbonation de la flotte. Von Boxberg reste néanmoins positive : « Oui, c’est frustrant, mais parfois il faut un petit wake-up call. On n’en veut jamais, bien sûr, mais quand cela arrive, on en tire des leçons et on repart plus fort. »
La réputation de la Belgique
Les grèves nationales successives en 2025 – contre les réformes du gouvernement De Wever – représentent un autre défi majeur. Le lendemain de l’entretien, une septième journée d’action devait encore paralyser Brussels Airport. Brussels Airlines estime le coût des six premières à plus de 14 millions d’euros et 100 000 passagers touchés, un chiffre qui grimpera encore avec celle du 26 novembre. « Cela nous pénalise toujours : nous avons tous les coûts de la journée, mais aucune recette », résume-t-elle.
L’image internationale de la Belgique en pâtit également. « Les Belges comprennent la situation, mais les passagers étrangers, non. Ils nous perçoivent simplement comme une compagnie peu fiable. Je crains vraiment que la réputation de la Belgique comme hub soit affectée. »
L’entreprise essaie d’anticiper : adaptation des paramètres de réservation, rebooking gratuit, activation rapide de la Ticket Waiver Policy. « Même un billet non flexible peut alors être modifié sans frais. Nous voulons vraiment aider nos clients. Leur offrir le choix de voyager plus tôt ou plus tard reste la meilleure solution. »
La fierté interne comme moteur
Les résultats financiers reposent sur quelque 3 750 collaborateurs. La fierté interne s’est également renforcée, comme le montre l’étude annuelle Randstad : Brussels Airlines est passée de la 11ᵉ à la 4ᵉ place des meilleurs employeurs de Belgique. « Nous avons rouvert la crewroom, supprimée pendant la pandémie pour raisons d’économie. C’est à nouveau un lieu de rencontre où les employés peuvent aussi solliciter leurs responsables, l’IT, les RH ou la planification. » Les enquêtes internes restent un outil essentiel : « Les commentaires valent souvent plus que les chiffres. Ils nous aident à comprendre ce qui manque encore. »

La saisonnalité demeure une contrainte : « Nous aimerions offrir à chacun le contrat qu’il souhaite, mais ce n’est pas possible. En hiver, la demande baisse ; nous planifions donc la maintenance à ce moment-là, ce qui réduit le nombre d’appareils actifs. Ce n’est pas idéal, mais indispensable pour rester financièrement sains. »
Réseau africain
Au sein du groupe Lufthansa, Brussels Airlines est la filiale à la croissance la plus rapide, mesurée en ASK (Available Seat Kilometer). « Nous avons augmenté notre flotte et notre capacité, et même si nous restons les plus petits du groupe, nous grandissons le plus vite. L’an prochain, nous prévoyons encore environ 7 % de croissance. Cela prouve la confiance dans notre capacité à croître de manière rentable et à assurer un avenir clair à Brussels Airlines – tant en interne que pour nos clients. »
Cette confiance se traduit dans la stratégie réseau. Brussels Airlines peut ajouter de la capacité et renforcer son rôle dans la structure multi-hub du groupe, notamment via le réseau africain. « Cette année, nous célébrons 100 ans de liens avec l’Afrique. En 1925, Sabena a volé pour la première fois vers le Congo – un trajet qui durait alors 51 jours ! Aujourd’hui, nous poursuivons cette histoire. Au sein du groupe Lufthansa, nous sommes les experts du réseau africain, un rôle clé dans la structure multi-hub et multi-marques. »
Ce réseau continuera de s’étendre en 2026, avec le Kilimandjaro en Tanzanie. La flotte long-courrier passera à 13 avions d’ici 2027. « C’est le plan : deux appareils supplémentaires d’ici là », confirme-t-elle.
Un terrain de jeu inégal ?
Que les compagnies aériennes européennes doivent se décarboner découle directement de la réglementation européenne. Chez Brussels Airlines, le renouvellement de la flotte constitue l’épine dorsale de cette stratégie : d’ici 2027, la compagnie exploitera notamment treize appareils A320neo de dernière génération. « Ces avions émettent 20 % de CO₂ en moins et produisent 50 % de bruit en moins », explique von Boxberg. « C’est notre principal levier pour rendre nos opérations plus durables – tant pour le climat que pour les riverains –, mais c’est aussi le plus coûteux. »
« Les compagnies dont les hubs sont hors UE semblent avantagées, et cela ne peut pas être l’objectif. »
Outre le renouvellement de la flotte, la législation européenne impose également d’autres obligations, comme l’utilisation de Sustainable Aviation Fuel (SAF). L’usage qu’en fait Brussels Airlines est actuellement conforme à la norme européenne : « Nous avons une obligation légale de 2 %, à laquelle s’ajoutent les contributions volontaires de nos clients. Cette année, nous atteignons entre 2 et 3 %. D’ici 2030, ce sera 6 %, et cinq ans plus tard même 20 % », explique-t-elle. « C’est extrêmement ambitieux. L’industrie devra considérablement augmenter sa capacité de production pour y parvenir. »
Elle ne cache d’ailleurs pas ses doutes quant à la faisabilité de la norme européenne fixée pour 2035. « De nombreux projets sont en préparation, mais ils ne verront pas tous le jour. La disponibilité et l’accessibilité financière restent les deux grandes questions. Le carburant durable est aujourd’hui bien plus cher que le kérosène fossile ; la vraie question est donc de savoir combien de passagers seront prêts à payer davantage lorsque le prix des vols augmentera. »
Elle ne reste pourtant pas les bras croisés. Convaincue que les ambitions européennes dépassent ce que l’industrie peut actuellement réaliser, von Boxberg plaide – au nom du Lufthansa Group – auprès des commissaires européens en charge de la mobilité et des transports pour une politique qui préserve la compétitivité du transport aérien européen. Dans ce rôle, elle travaille principalement sur les dossiers liés à la Green Deal, rebaptisée depuis février Clean Industrial Deal. « Nous plaidons pour que la composante “industrielle” soit réellement prise en compte et que la politique de durabilité garantisse un terrain de jeu équitable », souligne von Boxberg. « Aujourd’hui, les compagnies dont les hubs se trouvent en dehors de l’Union européenne semblent avantagées, et ce n’est évidemment pas l’objectif. »
« Nous discutons également de la manière d’augmenter la capacité de production de carburant durable. On peut produire du SAF biogène – comme le biodiesel issu d’huiles végétales – mais il existe aussi un quota obligatoire pour le SAF synthétique, fabriqué selon la technologie power-to-liquid. Or, cette production industrielle est encore quasi inexistante, alors que la réglementation impose déjà un quota fixe à partir de 2030. La question est donc : est-ce réaliste ? Et c’est encore plus coûteux. Il faut donc soit revoir ce quota, soit mettre en place un soutien concret pour permettre à cette industrie de réellement se développer. »
Selon von Boxberg, il revient donc aux gouvernements d’aider le secteur aérien à amorcer cette transition. « Les compagnies aériennes paient déjà beaucoup pour la durabilité : en partie via le SAF, mais aussi à travers le système ETS (le système européen d’échange de quotas d’émission, qui oblige les entreprises à payer pour leurs émissions de CO₂, ndlr). Cet argent retourne ensuite aux États membres. Nous aimerions qu’il soit réinvesti dans la transition, par exemple dans le développement de l’industrie du SAF. Cela aiderait vraiment. »
« La concurrence est saine, mais à conditions égales. »
La position concurrentielle de Brussels Airlines est fragilisée non seulement au niveau européen, mais aussi au niveau belge. Dès que l’aéroport de Charleroi est évoqué, le problème devient évident. « Il existe des différences dans la manière dont les aéroports sont traités, par exemple via des subventions du gouvernement wallon ou des écarts dans les coûts de navigation facturés par skeyes. Cela rend les opérations moins chères pour des compagnies comme Ryanair au départ de Charleroi et fausse la concurrence », souligne von Boxberg. « La concurrence est saine, mais à conditions égales. » Ce message, elle le transmet également au monde politique belge, « mais pour l’instant sans résultat ».
Regard vers 2030
Malgré les défis internes et externes, von Boxberg continuera sans doute encore quelque temps à tracer la voie de Brussels Airlines. Elle vient de signer une prolongation de contrat jusqu’en 2030. À la question de savoir comment elle souhaiterait être perçue à cette échéance, elle revient à l’essence même de son métier : « Je veux qu’en 2030 nous soyons véritablement la compagnie aérienne nationale belge. Une compagnie avec un produit belge, qui transporte les gens vers leurs destinations favorites d’une manière qu’ils apprécient. Je veux que nous croissions sur les marchés où la demande existe, que nous le fassions de façon durable avec une nouvelle génération d’avions, et que nous restions un employeur où les gens aiment travailler et dont ils sont fiers. »
Ce qui la motive au quotidien : « Avant tout, le travail avec les gens. Si cela ne procurait plus de plaisir, ce serait difficile. Nous avons une équipe formidable : compétente, dévouée et passionnée. Et c’est très motivant de voir nos progrès. Travailler sans jamais voir de résultats donne l’impression de tourner en rond. Je veux constater que les choses s’améliorent, que nous accomplissons quelque chose ensemble, en équipe. »
Pour terminer, une question incontournable dans le secteur du tourisme : à quoi ressemble ses vacances idéales, avec un agenda aussi chargé ? Von Boxberg aime la variété : la nature pour se promener, de courts city-trips – cette année, c’était Copenhague – et surtout les voyages qui l’émerveillent. « Pour les vacances plus longues, l’Afrique me fascine énormément. Nous avons passé deux semaines au Rwanda en famille, c’était fantastique. » Sur le plan professionnel aussi, ce continent continue de la passionner. Elle s’est récemment rendue en Ouganda. « Les gens parlent souvent de “l’Afrique” comme s’il s’agissait d’un seul pays, alors que c’est un continent composé de pays, de cultures et de peuples totalement différents. C’est ce qui rend les voyages – et le travail là-bas – si passionnants. »

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